• Tentative à la Tour Ronde

    Un manque criant d'entrainement, des sacs encore un peu trop lourds, un manque d'aisance dans le rocher, une course longue, voire très longue: 5,6 km pour 1800 m de D+ en terrain parfois délicat, raide, hors sentiers, et surtout un pont de neige un peu trop "mince" au-dessus d'une crevasse un peu trop béante ont eu raison de notre motivation et de notre courage.L'an dernier, en lisant le Montagnes Magazine d'août-septembre, j'étais tombé sur un article de Leïla Shahshahani sur le guide Lorenzino Cosson qui décrivait sa course préférée: "le moins fréquenté de tous les itinéraires menant au sommet de la Tour Ronde. Il faut l'avoir parcouru pour saisir l'ambiance unique de cette course sur ce versant de la Brenva" explique-t-il.
    La Tour Ronde, c'est le sommet du massif du Mt Blanc qui offre le plus beau panorama: la Combe Maudite avec le Grand Capucin, l'arête Küffner qui file jusqu'au sommet du Mt Maudit avec le passage de l'Androsace, et tout le versant Brenva du Mt Blanc, grandiose ! C'est un somment auquel je pense depuis longtemps, que ce soit à ski par le couloir Gervasutti (mais un peu trop pentu pour Seb), ou à pied.
    De difficulté modérée (PD) cet itinéraire de Lorenzino Cosson est néanmoins une course assez longue, avec une dénivellée mal répartie: 1800 m le premier jour jusqu'au bivouac de la Brenva à 3140 m, et 650 m le second jour jusqu'au sommet.
    La descente peut être considérablement raccourcie, grâce au téléphérique d'Helbronner. C'est loin d'être négligeable pour moi qui garde un souvenir cuisant de notre descente de 2200 m du sommet de Tré la Tête au parking de la Visaille, en juillet 2008, que j'avais trouvée interminable, alors qu'à cette époque j'étais en bonne forme physique.

    La forme, c'est bien ce qui nous a terriblement fait défaut ce vendredi 25 juin (puisque nous n'avons rien fait de sérieux depuis le 6 avril, soit presque 3 mois sans courir la montagne !!): 9h pour monter 1800 m c'est tout bonnement incroyable ! Même en considérant que nous étions très chargés (avec duvets, réchauds, et pas mal de cinquaillerie), qu'il n'y avait aucun sentier sur les 3/4 de l'itinéraire, qu'il y avait quelques passages de petite escalade facile, et que nous avons un peu "louvoyé" sur la fin, cette moyenne de 200 m/h est stupéfiante de lenteur !!  Bougnat aurait pu nous suivre ! Il nous aurait même sans doute distancés comme il l'avait fait jadis à l'Archeboc.
    Bref, en arrivant au bivouac à 17h30, complètement cuits, avec des crampes à la cuisse droite pour moi, il était hors de question d'aller reconnaitre la suite de l'itinéraire, que ce soit le passage dans les rochers, 200 m plus haut, et qui donne accès à l'arête de l'itinéraire "classique" (celui de Renzino Cosson) ou bien "l'itinéraire bis" que nous envisagions désormais: direct par le glacier de la Tour Ronde puis le couloir S-O, plus court, plus rapide, moins technique (tout en neige, pas de rocher !).
    Après un thé et une soupe de lentille mémorable (et un peu de taboulé aussi pour moi, alors que Seb n'a pas pu finir les délicieuses lasagnes maison de Delphine, autre truc totalement incroyable qui défie l'entendement), hop, extinction des feux, tout le monde au lit !
    Malgré la chaleur et la fatigue, cette 1ère journée fut splendide: Passons rapidement sur la 1ère demi-heure qui consista à contourner l'entrée du tunnel du Mt Blanc, d'abord en marchant au pas de charge sur le bas-côté de la route empruntée par moults camions (Bougnat aurait adoré !!!!), puis en suivant une route poussiéreuse le long de la carrière, empruntée par d'autres camions (là, Bougnat aurait surement fait demi-tour).
    Une fois franchi le torrent qui descend du glacier d'Entrèves, et après avoir sagement contourné les 2 vaches noires placidement allongées en travers du chemin (je n'ai même pas osé sortir l'appareil photo, Seb non plus d'ailleurs !!), nous en avons pris plein les mirettes: forêt de mélèzes au vert éclatant et aux troncs parfois torturés (Seb a répété au moins 20 fois "c'est beau le mélèze !", à l'aller comme au retour), pelouse aussi douce que le gazon de Wimbledon, des chamois comme s'il en pleuvait, bref, un petit paradis, à 1h du parking de La Palud.
    Avec toujours l'enfilade Noire de Peuterey, Dames Anglaises, Blanche de Peuterey,  qui bouche l'horizon et se rapproche à chaque pas, jusqu'à donner l'impression de pratiquement surplomber le chemin (alors que nous en sommes séparés par le glacier de la Brenva qui mesure quasiment 1 km de large !)
    Une fois sortis de l'ombre protectrice de la forêt, nous franchissons le torrent de la Brenva pour attaquer la loooooongue ascencion des pentes coincées entre les Rochers de la Brenva à droite et le glacier de la Brenva à gauche. Quelques nuages s'accrochent sur les hauts sommets (de 3700 à 4100 et même 4807 m) qui dominent le glacier. Nous progressons lentement sous un soleil de plomb, en suivant les marques de peintures jaune qui balisent l'itinéraire, d'abord dans des pentes d'herbes de plus en plus envahies de pierrailles, puis sur des névés à la neige complètement ramollie, jusqu'à venir buter à 2800 m, contre la base du rognon rocheux sur lequel est perché notre abri, 340 m plus haut.
    Là, une fois le couloir de neige terminé, tout se complique: nous ne trouvons plus de marques jaunes, il n'y a plus de neige, que du rocher, plutôt raide au milieu, plus accueillant (mais instable, Seb en sait quelque chose) sur la droite. Evidemment, nous nous laissons tenter par la facilité: on tire à droite, trop. On accède à une épaule neigeuse, et on doit redescendre 20 à 30 m pour contourner les rochers, toujours par la droite, avant de revenir à gauche toute ! En fait nous sommes juste au-dessus du glacier de la Tour Ronde. Heureusement, le bivouac n'est plus très loin, juste en face et pour ainsi dire au pied du mythique Grand Pilier d'Angle, qui nous masque son voisin, le Pilier du Frêney, théatre de la tragédie vécue en juillet 1961 par les cordées de Walter Bonatti et Pierre Mazeau, prises dans la tourmente en pleine paroi.

    Le lendemain, samedi 26: réveil à 2h00, départ à 3h30 ! Et oui, on est lents AUSSI dans les préparatifs: faire chauffer l'eau pour le thé, laisser infuser pendant qu'on met nos lentilles, s'habiller, ranger les duvets, les réchauds, enfiler les baudriers, se répartir les broches à glaces, poulies, bloqueurs, sangles ... s'encorder, tout ça après une bien trop courte nuit passée à ne surtout pas plier les jambes, pour éviter le retour des crampes !!!
    On espère que ça passera bien, qu'il n'y aura pas d'obstacle, parce que je ne me sens pas du tout prêt à chercher un cheminement au milieu des crevasses ou à risquer un franchissement délicat en me disant que Seb m'assure du mieux qu'il peut, même si j'ai fait 4 gros noeuds sur la corde pour qu'elle se "bloque toute seule" sur la lèvre d'une éventuelle crevasse, au cas où !! On est vraiment tout seuls, il n'y a que nous dans ce secteur, donc nous ne pourrions compter sur aucune aide en cas de pépin (alors que de l'autre côté, sur le bassin du Géant les cordées doivent se compter par dizaines !!).
    Aussi, quand je m'engage (tout droit) dans la pente de neige qui permet de contourner le 2ième (et dernier) rognon rocheux, et que je vois une première crevasse qui va jusqu'au rocher, jusqu'au pied de la paroi, je me dis que ça commence mal ! Heureusement, elle est bien bouchée par une coulée de neige, qui l'a remplie sur plusieurs mètres de large. J'ai confiance, ça passe facile. Quelques mètres plus haut, à la deuxième crevasse, la coulée de neige est moins large, et je demande à Seb d'un ton bien ferme, de garder la corde très tendue. Encore un peu plus haut, et juste avant le replat salvateur, à la 3ème et dernière crevasse, les proportions sont inversées: la crevasse est plus large que la coulée qui la bouche. En plus, le regel me parait plutôt moyen, la neige n'est pas "béton". Je ne demande même pas à Seb de venir voir, pas de discussion, on fait demi-tour direct !
    - C'est sans doute la dernière crevasse, et ensuite la voie est libre ?
    - Qu'à cela ne tienne, je n'ai pas envie que ce soit la DERNIERE crevasse ! (en plus c'est sûrement faux, il doit certainement y avoir aussi une belle rimaye au pied du couloir !).
    - En faisant demi-tour, on échange 500 m de D+ et 500 m de D- (autrement dit une balade !) contre 2000 m de D- difficile, technique et parfois exposée ?
    - Et alors ? on a le temps ! Il est 4h30 du mat., y a pas le feu au lac !

    En fait il y aurait eu une solution: faire passer Seb en premier ! JE sais faire un ancrage solide, et un mouflage pour sortir quelqu'un d'une crevasse ! J'aurais pu faire un bon ancrage, avec la pelle et le piolet (un ancrage double-point), dans de la neige relativement dure quand même. Un mousqueton, un demi-cabestan, avec la poulie-bloqueur à côté, prête à prendre le relais au cas où Seb serait passé à travers le pont de neige ! J'avoue n'y avoir pas pensé une seule seconde. En fait je n'ai pas pensé du tout !!!
    Bon Seb, prépare-toi, on y retourne, j'ai trouvé la solution !!!

    Bref, la décision a été prise en 3 secondes. Seb n'a pas discuté, même s'il s'inquiétait un peu pour la recherche d'un autre itinéraire de descente (pas question de repasser dans les rochers instables de la veille !)
    On a profité du lever de soleil sur le Mt Blanc et le Grand Pilier d'Angle, même si le point de vue n'était pas celui espéré au départ. Puis la descente s'est bien passée: un petit passage sur corde (15 m), un peu de pointes avant dans de la neige dure et raide (un bon 45°, j'aime bien, Seb pas trop) et un peu de désescalade facile le long d'un ruisseau. Le reste ne fut qu'une longue bavante où j'ai usé à maintes reprises de la "technique ours" que ma chérie trouve si amusante !!!
    A défaut de sommet, on a au moins brulé une partie du gras emmagasiné pendant tout ce printemps pourri !!

    Pendant le retour, dans la voiture, j'ai dit que c'était sans doute ma dernière "grosse" sortie en montagne, en tous cas "sans guide". Je me faisais la réflexion que nous avons approché nos limites d'assez près.

    Bon, hum !! Aujourd'hui, je pense qu'avec une meilleure condition physique, on peut arriver BEAUCOUP plus tôt au bivouac et on peut aller explorer les rochers de la voie normale, au-dessus du bivouac, et aussi le 3ème itinéraire bis, celui de la pente de gauche. Ce serait bien le diable qu'aucun ne passe !!!

    itinéraire du 1er jour

    L'itinéraire de la montée au bivouac


    itinéraires du 2nd jour

    L
    es itinéraires: en bleu: le "vrai", celui de Renzino Cosson, en vert: notre "louvoiement" de montée, en jaune: notre descente, et en rouge: les 3 itinéraires bis, dont celui qu'on a tenté: à droite toute vers le couloir S-O.
     



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  • Commentaires

    1
    loris
    Dimanche 20 Novembre 2016 à 20:20

    https://picasaweb.google.com/spirou.spirale/BivaccoDellaBrenva#slideshow/5487416499218015474

    404 NOT_FOUND

    2
    loris
    Mardi 22 Novembre 2016 à 23:25

    le diaporama svp?

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